Musée du Quai Branly : MISSION DAKAR-DJIBOUTI [1931-1933] CONTRE-ENQUÊTES
- Olivier THIBAUD
- 15 avr.
- 4 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 4 jours

(par Olivier THIBAUD)
Deux années c’est la durée de l'une des missions ethnographiques les plus emblématiques de l'histoire de l'ethnologie française !

Elle devait alimenter les collections Afrique du musée de l’Homme au Trocadéro puis du musée du quai Branly – Jacques Chirac créé par la suite et dédié aux « peuples premiers ».
Cette exposition inédite propose - jusqu’au 15 septembre - de croiser les regards sur l’histoire des sciences et des cultures matérielles africaines ainsi que sur l’histoire coloniale.
Il aura fallu attendre plus de 90 ans pour que cette passionnante exposition revisite, à travers un prisme contemporain, les conditions de collecte et les récits souvent ignorés de cette traversée d’ouest en est de quinze pays africains – selon leurs frontières actuelles :
Sénégal, Mali (nom colonial du territoire : Soudan français), Burkina Faso (Haute-Volta), Bénin (Dahomey), Niger, Nigeria, Tchad, Cameroun, République Centrafricaine (Oubangui-Chari), République Démocratique du Congo (Congo belge), Soudan du Sud et Soudan (Soudan anglo-égyptien), Éthiopie, Érythrée et Djibouti (Côte française des Somalis).
En 1931, ces pays étaient sous domination coloniale européenne à l’exception de l’Ethiopie indépendante.

Conduite par l’ethnologue français Marcel Griaule, la « mission ethnographique et linguistique Dakar-Djibouti », ainsi qu’elle fut dénommée à l’époque, se voulait pionnière, introduisant des méthodes novatrices d'enquêtes ethnographiques en France avec la volonté de rapporter des informations, des images, des objets de cultures africaines censées disparaître sous l’effet de la colonisation.
Cependant, ses pratiques, qui s’inscrivaient dans un cadre colonial, ont soulevé des questions éthiques, notamment sur les conditions d'acquisition d'objets ainsi que sur les relations de pouvoir entre colonisés et coloniaux.

Une moisson considérable
Composée de onze membres, la mission réunit pour trois institutions parisiennes – le Muséum national d’Histoire naturelle et son annexe, le musée d’ethnographie du Trocadéro, ainsi que la Bibliothèque nationale – environ 3 600 objets (1) et 6 600 spécimens naturalistes, 370 manuscrits, 70 ossements humains et produit près de 6 000 photographies, des enregistrements sonores, des films et plus de 15 000 fiches d’enquête.
Très médiatisée, cette expédition scientifique fut aussi mise en lumière par la publication chez Gallimard en 1934 de « L’Afrique fantôme », journal personnel de l’écrivain et ethnologue Michel Leiris, également secrétaire de la mission.
Par ses observations, il révèle un an après son retour les tensions entre les ambitions scientifiques, les pressions coloniales et les réalités humaines, et dévoile les interrogatoires, les collectes controversées, ainsi que les rapports de domination.

À travers une sélection d’environ 350 objets et photographies, de spécimens naturalistes et d’archives, l’exposition Mission Dakar-Djibouti [1931-1933] : contre-enquêtes revient sur des faits documentés étayés par les résultats de recherches et le regard actuel de professionnels du continent africain.
Menées conjointement par une dizaine de scientifiques africains et français sur les différents terrains, y compris en France, ces contre-enquêtes interrogent des enjeux mémoriels comme scientifiques.
Elles retracent les conditions d'acquisition de ces biens culturels, mettent en lumière les récits de femmes et d'hommes restés jusque-là anonymes et proposent une lecture résolument contemporaine de cette expédition

L’itinéraire de la mission est ensuite retracé au travers d’une sélection d’objets emblématiques et d’une présentation des méthodes de classification qui ont contribué à l’émergence de disciplines, comme l’ethnomusicologie
Toutes les modalités d’acquisition sont abordées :
les achats, les dons, les commandes, les échanges, les fouilles ainsi que les prélèvements sans autorisation (vols, réquisitions), chacune étant illustrée par un ou plusieurs objets

En conclusion, une sélection d’objets, photographies et archives interroge le siècle qui s’est écoulé et les perceptions actuelles africaines sur ce patrimoine.
(1) des 3 600 objets collectés par la mission, la moitié provient du Mali .
Ce pays a demandé la restitution de 81 d'entre eux ...
INFORMATIONS PRATIQUES
Jusqu’au 14 septembre 2025
Musée du quai Branly – Jacques Chirac
37 quai Branly, 218 et 206 rue de l’Université 75007 Paris
T. 01 56 61 70 00
HORAIRES D’OUVERTURE DU MUSÉE
Ouvert tous les jours, sauf le lundi, de 10h30 à 19h, et le jeudi jusqu’à 22h.
Ouverture exceptionnelle les lundis des vacances de Printemps (toutes zones)
Pour aller plus loin, lire :

Le catalogue de l’exposition
244 pages, 34 €, Coédition musée du quai Branly – Jacques Chirac / Editions El Viso
(version française)

L’Afrique fantôme
Michel Leiris est un auteur, ethnologue et critique d'art français.
Né dans une famille bourgeoise, il délaisse ses études de chimie, préférant fréquenter les milieux d’avant-garde littéraire et artistique, rejoignant les surréalistes avant de se consacrer à une écriture plus personnelle.
En 1930, alors que, surréaliste dissident, il travaillait à la revue Documents, Michel Leiris est invité par son collègue l'ethnographe Marcel Griaule à se joindre à l'équipe qu'il formait pour un voyage de près de deux ans travers I'Afrique noire.
Et c’est le 16 mai 1931 que, dirigée par Marcel Griaule, une équipe de 6 jeunes ethnographes, dont l'écrivain Michel Leiris, part pour un périple de deux ans à travers l'Afrique, de Dakar à Djibouti.
Ils ont hâte de mettre en pratique de nouvelles méthodes pour faire reconnaître l'ethnologie comme une science moderne et humaniste et collecter des centaines d’objets sur le terrain pour compléter les collections du Musée d'ethnographie.
Ils ont aussi un programme très précis pour étudier "l'homme africain" avec l’aide d’informateurs locaux.
Mais Leiris et Griaule n’attendent pas la même chose de l’ethnographie.
Leiris fuit Paris et ses mondanités pour se mettre à l’épreuve dans un continent "sauvage".
Il cherche à faire des rencontres authentiques avec les habitants et apprendre de l’autre par la subjectivité.
Griaule au contraire est dans l’objectif.
Ancien militaire, il veut appliquer ses méthodes et utilise l’administration coloniale pour organiser sa collecte d’objets.
Pendant le voyage, Michel Leiris tient son carnet de route, une œuvre personnelle où il décrit notamment la logique d’intimidation et d’effraction à l’œuvre dans certaines prises d’objets sacrés dont il se rend lui-même complice.
En 1934, Leiris publie « L’Afrique fantôme », son carnet de route du voyage et se brouille avec Griaule qui lui reproche de dévoiler les coulisses de l’expédition.
On en apprend beaucoup sur la façon de faire des Français (mais pas que) en Afrique à cette époque.
Pas très reluisant...