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La SAPE : mode ou art de vivre ?


De Kinshasa à de Brazzaville il se répète à l’envi :

« Les Occidentaux ont inventé le vêtement, les Congolais l’art de se vêtir ! »

« La sape est une échappatoire à la dureté de la vie, à la misère, aux difficultés du quotidien.

Chez nous, c’est aussi un contre-pouvoir, une façon d’exister, »

assure Le Bachelor (1), personnage emblématique de la SAPE (Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes).

Jocelyn Armel, alias J.A. Le Bachelor est le premier Congolais à avoir fait de sa passion une marque, « Connivences », lancée en 2005.

Authentique hymne à la vie, le Sapeur ose faire exploser les couleurs :

« à quoi ça servirait de naître si on ne te voit pas ? » ajoute Le Bachelor.

Culte narcissique de l’élégance, audace stylistique, osmose entre l’être et le paraître :

retour sur un phénomène qui dépasse la mode.

Le Bachelor dans sa boutique SAPE & CO


La Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes, ou S.A.P.E., est une mode vestimentaire populaire née après les indépendances du Congo-Brazzaville et du Congo-Kinshasa (RDC ou République Démocratique du Congo) chez les jeunes.

Elle se situe dans la filiation du dandysme.

Ses adeptes, appelés sapeurs s'habillent ainsi chez les grands couturiers et pratiquent la sapologie.

Bien que ce soit un terme emprunté du français, il n'a étymologiquement plus rien à voir avec le sens qu'on lui connaît.

Ce mouvement est même présent en Côte d’Ivoire où le mouvement a ses aficionados qui ont pour nom Boucantier ou Farot, ce qui donne les verbes boucanter et faroter.


Jeune Saperur : la valeur n'attend pas ...


Il existe deux formes de Sape.

La Sape de type « Complet » qui a un goût fort prononcé pour l'harmonie des couleurs/des marques et correspond à l'habillement de costume classique. Il est l'équivalent du dandy à l'anglaise. Un Sapeur Complet obéit ainsi à la règle des trois communément appelée la Trilogie ou Tricologie (pour certains).

Dans le cas de l'autre forme de Sape, il s'agit de la « Sape Play Boy ».

Il s’agit d’un mode d'habillement plus décontractée et qui ne privilégie pas le costume classique, jugé parfois trop occidental.

C'est la Sape de type jeans, short, chemises... de très grandes marques.

Le Sapeur de Type Play Boy se veut d'être un objet d'art mobile !


Pour les premiers cette manière d’être se résume à la civilisation du vêtir à l'occidentale.

Très conservateurs, ils ont la connaissance des couleurs mais aussi des tissus et des saisons.

Ils privilégient le gris anthracite, le bleu de nuit, le blanc, le gris souris, le bleu pétrole, le bleu canard, le rouge bordeaux et le rouge royal, ainsi que beaucoup d'autres couleurs.

Et pour les seconds, ils se distinguent par l'exhibition, le paraître en permanence. Ils n’hésitent pas à porter des couleurs criardes telles le vert « kitenguiste » (mis à la mode en République démocratique du Congo), le jaune d'œuf, le rouge, le violet, le rose, sans crainte du fashion.


Un Sapeur a pour référence vestimentaire l'aristocratie bourgeoise française du XIXème siècle. Et le kitenguiste a pour référence vestimentaire l'aristocratie japonaise, mélangée au style people des années disco aux États-Unis (très coloré).


Sapeur

Ben Moukacha


L’origine du mot SAPE


L'inventeur du mot « SAPE » - ce dandysme à l'africaine - serait Christian Loubaki, un homme à tout faire travaillant chez des aristocrates français du quartier chic du XVIème arrondissement à Paris.

Il aurait observé ses patrons s'habiller et profité des vieux vêtements qu'ils lui offraient.

Le mot serait donc parti d'une interprétation inconsciente ou incomprise, de sa part.

C’est ainsi qu’un jour de 1975 il était employé par son patron aux fins d’essayer les tenues pour mieux les apprécier.

Ce dernier lui aurait alors dit :

« Tel que tu t'es habillé tu vas saper le moral de tes amis ! »

Or Christian Loubaki, ne sachant ni lire ni écrire, de retour au Congo en 1976 à l’occasion de vacances, pour se démarquer de ses autres compatriotes - vacanciers comme lui - déclarait à qui voulait entendre qu'il était mieux « sapé ».

Ainsi le mot « sape » serait-il entré dans le langage courant…

Par la suite Christian Loubaki ouvrait en 1978 la première boutique « La Saperie » à Bacongo, le quartier par excellence de la sape au Congo...


Papa Wemba au Salon Livre Paris en 2016, peu avant sa disparition


Papa Wemba (2) comme chef de file


Il convient donc de distinguer deux types de sapeurs car il y a une nuance de taille entre le sapeur de la Société Africaine des Personnes élégantes et le sapeur de la Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes !

Deux cas d'école sur le concept de la sape coexistent :

le premier étant de l'école de Christian Loubaki (dit Mystère), qui a pour référence le dandysme bourgeois du XIXème siècle et du début du XXème siècle.

Et les seconds, tels Ben Moukacha et compagnie, qui ont comme référence DJO Ballard.

Ils sont en représentation permanente, dans le « m'as-tu-vu », dans l'exhibition de leurs marques de vêtements…


Aujourd'hui, les Kinois (habitants de Kinshasa) considèrent comme leur premier et dernier chef de file l’incontournable Papa Wemba, du mouvement Kitendiste.

En 1979, la chanson Matebo parlait déjà de sape : « Bien saper, bien coiffer, bien parfumer », des mots qui restent depuis gravés dans la conscience collective des sapeurs de toutes générations.


La boutique parisienne (quartier Château Rouge) SAPE & CO, par la personne de son propriétaire Jocelyn Armel – dit Le Bachelor -, a apporté une touche particulière, en faisant porter aux Congolais et au restant de la communauté noire, des couleurs fashion, qui siéent aux sapeurs de la seconde définition.


Certaines personnes au sein même de la communauté congolaise prennent leurs distances avec ce mouvement. Ce qui est reproché est l'étalage d'une abondance futile et l'exhibition fastueuse de vêtements hors de prix. Les détracteurs affirment que les priorités sont inversées dans les pays d’Afrique centrale touchés par l'analphabétisme, le chômage et la pauvreté où plus de 60 % des ménages vivent en dessous du seuil de pauvreté...


A lire :


- « Les rois de la sape » par Christian Epanya ; éditions Océan Jeunesse ; bande dessinée 32 pages ; 21,5 x 29,5 cm ; 486 g ; paru en mai 2014 ; prix 15 €.

Résumé : À Kinshasa, le jeune Élimbu est malmené par les princes de la mode.

Grâce aux bons conseils de Tonton Libamko, il va les affronter au grand concours des sapeurs.



- « S.A.P.E. » photographies d’Héctor Mediavilla, introduction d’Alain Mabanckou (3); éditions Intervalles ; 160 pages ; paru en février 2013 ; prix 39 € .

Distingué « Grand prix du Livre de mode 2014 ».

Résumé : c’est le premier ouvrage monographique consacré au travail du photographe Héctor Mediavilla sur les dandys de Brazzaville, ces ambassadeurs de l’élégance au Congo.


S’habiller, se saper :


SAPE & CO , 12 Rue de Panama, 75018 Paris, tél. 01 55 79 75 01


SAPE & CO : les Sapeurs ont leur boutique au quartier Château Rouge à Paris


(1) Enfant de la Goutte d’Or, Jocelyn Armel, dit Le Bachelor (il est en effet titulaire d’une maîtrise de gestion), est un sapeur, un dandy africain au look vestimentaire soigneusement étudié. En 2005, il a créé la marque Connivences et une boutique de vêtements SAPE & CO située dans le XVIIIème arrondissement de Paris, le fameux quartier Château Rouge (du nom de la station de métro éponyme).

Le Bachelor ose les couleurs

Le Bachelor a créé "Connivences" , la première marque de la SAPE

Papa Wemba (à d.) en compagnie de Ben Moukacha (à g.)


(2) Papa Wemba est un chanteur, compositeur et acteur congolais (originaire de la province du Kasaï-oriental, située au Congo belge et actuelle République démocratique du Congo). Il bat le record de la longévité en matière de succès musical. C’est l’un des artistes-musiciens africains les plus populaires depuis quatre décennies. Le célèbre tube « Matebo » est considéré comme un manifeste de la sape. En février 1977, il crée son propre orchestre Viva La Musica, un label qui va l'accompagner durant toute la suite de sa carrière. En homme solidaire et bon « team player » durant sa longue carrière, Papa Wemba n'a pas hésité à collaborer avec – excusez du peu - Tabu Ley Rochereau et son groupe Afrisa, Martin Meissonier (producteur de King Sunny Adé et de Ray Lema), Peter Gabriel, Ray Lema, Manu Dibango, Koffi Olomidé, Youssou N'Dour, Pepe Kalle, le vieux Wendo Kolosoy, Lutumba Simaro, Kwamy Mussy, et ses vieux copains de Zaiko (Evoloko Jocker, Bozi Boziana, Efonge Gina, Mavuela Somo) les quatuors du Clan Langa Langa, Alpha Blondy, Aretha Franklin participe à l'album Emotion Fa Fa, Lokua Kanza, Angélique Kidjo, Salif Keïta, JB Mpiana, Singuila, Ophélie Winter… Rien de moins !

Papa Wemba, né le 14 juin 1949 à Lubefu au Congo belge, il est mort le 24 avril 2016 à Abidjan des suites d'un malaise sur scène.

Alain Mabanckou, auteur à succès et ambassadeur de la SAPE


(3) Alain Mabanckou est un écrivain franco-congolais à succès. Il est né à Pointe-Noire (République du Congo) le 24 février 1966. Il a remporté en 2006 le prix Renaudot pour son roman « Mémoires de porc-épic ». L'ensemble de son œuvre a été couronné d'abord en 2012 par l'Académie française (Grand Prix de littérature Henri Gal), puis en 2013 par la Principauté de Monaco (Prix Littéraire Prince Pierre de Monaco pour l'ensemble de l'œuvre). Il a également créé l’ensemble musical « Black Bazar » qui renouvelle avec bonheur le genre de la rumba congolaise. Depuis 2007 il est Professeur titulaire (Full Professor) de littérature francophone à la célèbre Université de Californie à Los Angeles (UCLA).

"Black Bazar" l'ensemble de rumba d'Alain Mabanckou

L'auteur en compagnie de Ben Moukacha

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